L’IAC, qui place depuis sa création la recherche au cœur de ses activités, devient ponctuellement un espace pour « Otium », un laps de temps intermédiaire propice à la réflexion, à la méditation et à la prise de conscience. Les jardins et les espaces à l’intérieur de l’IAC sont alors ouverts pour accueillir des projets développés dans un ailleurs, devenant, le temps d’un été, un » ici ».
Otium # 3 rassemble le travail de trois artistes, Jean-Marie Perdrix, Linda Sanchez, Dane Mitchell, qui ont en commun cette idée de se saisir de la matière comme fondement de leur travail. Matière minérale, organique et cosmique, volatile en mouvement, chacun de ces artistes en explore et en expérimente différemment les possibles. Abordée de façon cosmomorphe, cette matière relève autant des activités humaines que de la nature, dès lors qu’une telle distinction n’a plus de sens. Cherchant la cohérence, ces artistes utilisent l’expérience comme mode de production de leurs formes artistiques. C’est ainsi qu’ils entendent tisser des liens avec l’environnement comme pour intensifier leur relation à ce qui est.
Conçues en lien étroit avec leurs sites de production, les œuvres de Jean-Marie Perdrix ont pour source première l’expérience d’un territoire. À la manière d’un anthropologue, l’artiste fonde ses recherches sur les reliques significatives du milieu naturel, social et culturel qu’il traverse. Près des fonderies de Géorgie, Serbie, Corée, Mexique et depuis vingt ans du Burkina Faso, Perdrix a collecté des objets totémiques, des crânes, des peaux d’animaux, des déchets ménagers et d’autres déchets, qu’il transforme en matrices de ses métamorphoses. Avec ses sculptures de «chair perdue», modelées sur des animaux abattus pour l’industrie alimentaire et grâce à la création de la coopérative Yamba-D dédiée à la production de tables scolaires réalisées à partir de déchets plastiques fondus, Perdrix a mis en place une pratique aux confins de l’artisanat. Balayant tout ordre de domination entre pratiques culturelles, rituelles, symboliques ou utilitaires, les processus utilisés par l’artiste nous confrontent à des questions brûlantes sans discours ni spectaculaire où se lit l’inquiétude d’un épuisement des ressources vitales. Ses œuvres, chargées d’une physicalité massive, d’une alchimie puissante, dégagent une énergie et une force combative.
L’œuvre sculpturale, graphique et vidéographique de Linda Sanchez, qui a tissé une relation active depuis plusieurs années déjà avec l’IAC, puise ses origines matérielles au cœur même de l’eau, du sable, de l’argile, du lichen mais aussi de phénomènes physiques qui tantôt les figent, d’autres fois les mettent en mouvement. Contrainte par ce qui l’enveloppe ou la fragilise, la modèle ou la dissout, l’épaisseur de la matière est expérimentée, sans fascination ni préciosité, et le mouvement est capturé par différents systèmes d’observation et de mesure (coupes transversales, utilisation d’un appareil spécifique de capture, de classement et encadrement). Évacuant toute logique binaire, les œuvres matérialisent un temps rare et contingent : celui de la coïncidence. Lieu et temps où tout pourrait prendre sens sans pouvoir l’expliquer, c’est à travers celle-ci que la consistance des choses deviendrait palpable. L’œuvre de Linda Sanchez cristallise cette rencontre inespérée, du calcul et de l’imprévisible, où tout bascule et où tout se tient.
Basé sur des éléments naturels (lumière, pluie, vapeur), le travail de l’artiste néo-zélandais Dane Mitchell tend à transcender notre façon de percevoir ces manifestations et d’explorer les limites de nos perceptions. Poétiques et discrètes, ses œuvres émanent d’une captation, d’une fixation de substances organiques et fugaces. Tantôt accompagnés d’appareils scientifiques (paraboles, pompes, instruments de mesures), parfois transformés (alliage de métaux, parfum), les matières employées sont livrées à un certain nombre d’expériences à travers de subtils dispositifs sensoriels (vaporisation d’une odeur, occultation de la vue, leurres) ou à travers leur reconfiguration dans l’espace (déplacements contextuels, jeux d’échelle). À travers ces interventions, Mitchell se joue des principes scientifiques fondés sur la vision, la permanence de la matière et nos conceptions objectives sur les phénomènes physiques que nous vivons au quotidien. Avec légèreté, il détourne et réemploie le vocabulaire scientifique pour mettre à distance notre discernement et susciter notre imaginaire.
Artistes : Jean-Marie Perdrix, Linda Sanchez, Dane Mitchell.
Commissariat : Nathalie Ergino, assistée de Juliette Tyran.
Exposition OTIUM #3
21 juin – 9 septembre
Institut d’Art Contemporain, Villeurbanne
Plus d’informations sur : http://i-ac.eu/fr