L’art écologique : une forme de médiation des sciences de la conservation ?
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Crédit image : Icebergs du Fjord d’Illulisat, glacier de Jakobshavn (Groenland). © Édouard Bard.
L’éminent climatologue Edouard BARD, professeur au Collège de France (Chaire de l’évolution du climat et de l’océan), directeur adjoint du CEREGE (Aix-Marseille Univ, CNRS, IRD, CdF) et Académicien, spécialisé sur le réchauffement climatique et ses conséquences sur l’élévation du niveau des mers, fait le point avec COAL.
COAL : Nous sommes dans un café, La Belle Hortense, à Paris, alors avant d’aborder les questions scientifiques, commençons par une discussion de comptoir, parlons de la pluie et du beau temps ! Le temps pourri du mois de Mai a été utilisé dans les media pour minorer le réchauffement climatique, c’est triste, non ?
Edouard Bard : Oui et je le regrette, j’ai pu voir que certains médias ne s’étaient pas privés de ce raccourci. Mais c’est faire preuve d’une grande myopie. Pendant qu’en France la température était plus de 2°C sous les normales saisonnières, ce mois de mai 2013 était le 3ème mois de mai le plus chaud depuis plus d’un siècle à l’échelle mondiale! Il ne faut donc pas utiliser les chiffres d’une période aussi courte pour tirer des conclusions, car un mois est une goutte d’eau dans l’Océan du climat. Gardons-nous d’interpréter, dans un sens comme dans l’autre, une hausse ou une baisse locale et transitoire de la température. De nombreux facteurs météorologiques interviennent sur ces échelles de temps. Ce qui est important, c’est que les variations climatiques globales agissent à long terme. Le réchauffement climatique ne peut donc s’évaluer que sur des tendances de plusieurs décennies, c’est à dire de l’ordre d’une génération humaine. Notre mémoire personnelle est très imparfaite et ne permet pas de se rendre compte d’un tel phénomène. C’est pour cela que les scientifiques mesurent et archivent les paramètres climatiques de façon détaillée et sans parti pris.
COAL : Que faut-il attendre de nouveau dans le rapport du GIEC qui paraitra fin 2013 ? Peut-on s’attendre à ce qu’il soit encore attaqué par les climato-sceptiques ?
Edouard Bard : Les grandes lignes sur les températures, les pluies et le niveau marin, ne devraient pas beaucoup changer. Ce prochain rapport compile les avancées scientifiques de la dernière décennie qui se caractérise par une meilleure connaissance de la complexité du système climatique et de certaines composantes qui n’étaient pas encore prises en compte dans les simulations des modèles numériques. Au final, le message sera toujours un peu le même et les incertitudes sur la prévision à long terme restent importantes. Ces difficultés inhérentes à la marche de la science et à la complexité du système climatique, seront probablement exploitées par les climato-sceptiques, mais les climatologues doivent rester sur cette ligne scientifique, sans exagération ou simplification caricaturale, en ne masquant rien des incertitudes et du travail qui reste à réaliser.
COAL : Souhaitons donc les médias réagiront différemment que lors du dernier rapport et comptons sur des journalistes vigilants comme Sylvestre Huet ou Stéphane Foucart pour désamorcer la bombe éventuelle ! Rentrons maintenant dans le vif du sujet. Le réchauffement prévu est de 2 à 5 ° d’ici 2100 selon le Giec et entraine une élévation du niveau des mers. Où en est-on aujourd’hui en matière de prévision concernant cette élévation? Va-t-elle s’accélérer ?
Edouard Bard : Une élévation de 50 cm à 1 mètre est prévue d’ici 2100. Depuis un siècle nous observons une accélération de l’élévation du niveau de la mer. Par ailleurs, nous connaissons bien mieux les facteurs de cette élévation. Outre le réchauffement bien sûr, qui augmente la température de l’eau de mer en la dilatant, nous identifions mieux le rôle majeur de la fonte des glaciers et des calottes glaciaires. Cette fonte de glace a aussi un impact sur la salinité et les courants océaniques, ce qui aura d’autres conséquences sur le climat – on parle de rétroactions. Lorsque ces conséquences amplifient la perturbation de départ on parle de rétroaction positive, même si c’est plutôt négatif sur la planète. En bon Français, on parlerait de cercle vicieux… Il y a en a d’autres dans le système climatique, par exemple ceux qui concernent le piégeage du gaz carbonique par l’océan, qu’il est le premier puits de carbone au monde. On sait aujourd’hui que des rétroactions physico-chimiques et biologiques diminueront son efficacité. Or si la captation océanique décline, le CO2 devrait s’accroitre considérablement dans l’atmosphère. Ce qui accélérera le réchauffement climatique. Pas vraiment de bonnes nouvelles, donc !
COAL : Les océans jouent donc à la fois un rôle de retardateur, mais apparemment à terme, d’accélérateur du réchauffement climatique, comment expliquer cela ?
Edouard Bard : Il va falloir faire un peu de science ! Pas de panique, c’est très simple ! L’eau liquide a des propriétés très particulières, notamment une grande cohésion à cause des liaisons entre les différentes molécules d’eau. Pour la chauffer il faut beaucoup plus d’énergie que pour chauffer la même masse d’air, de glace ou d’autres solides (10 fois plus que le fer ou le cuivre!). Pour mieux comprendre le réchauffement actuel et le rôle de l’océan, il est important de distinguer les notions de température et de stockage de la chaleur. La température de l’océan a augmenté de quelques dixièmes de degrés en un siècle, mais la chaleur stockée pour arriver à cela est bien plus grande que celle qui, pendant le même temps, a réchauffé l’atmosphère de 1°C. Cette énergie qui réchauffe l’océan est même tellement importante qu’elle représente 90 % du stockage énergétique lié au réchauffement climatique! Plus la combustion de carbones fossiles avance, plus le feu sous la « casserole océanique » augmente !
COAL : Comment définissez-vous votre mission en tant que chercheur en climatologie ? Est-ce que le fait de travailler sur le réchauffement climatique vous conduit à un mode de vie plus écologique en tant qu’homme ?
Edouard Bard : Comprendre les changements climatiques. Evaluer les différentes causes qui le font varier, pour aboutir à une juste évaluation des causes naturelles. Ceci doit permettre de distinguer celles dues à l’activité humaine. En tant que scientifique, je ne peux être ni optimiste, ni pessimiste. Ce sont les faits qui me forcent à être réaliste. Les changements majeurs sont en route. A mon niveau de citoyen et non de chercheur, j’essaie, oui bien sûr, d’avoir un mode de vie plus écologique.
COAL : Quels sont vos chantiers actuels ?
Edouard Bard : Ils sont nombreux. Je développe mon laboratoire à Aix-en-Provence avec plusieurs appareils de très haute technicité : des spectromètres de masse complexes, lourds et malheureusement très chers. Ils sont indispensables pour faire avancer les recherches que je conduis avec mon équipe.
Tout d’abord, ils serviront à dater des archives climatiques comme des sédiments lacustres et océaniques, comme des coraux qui nous permettent de suivre l’évolution du niveau de la mer. Par ailleurs, nous pouvons suivre la dissémination du gaz carbonique anthropique en mesurant la teneur en carbone 14 du CO2. Les combustibles fossiles ne contenant pas de carbone 14, ces mesures permettent de mesurer le mélange du carbone naturel avec le carbone anthropique. Le carbone 14 nous procure, en quelque sorte, une photo en négatif de la contamination du CO2. C’est d’ailleurs comme cela que l’invasion du carbone fossile a été mesurée la première fois dans les années 1950 par le professeur Hans Suess, des années avant la mise en évidence de l’augmentation du CO2 atmosphérique à l’Observatoire de Mauna Loa par son collègue Dave Keeling.
Avec mon équipe, nous cherchons aussi à reconstituer la variabilité de l’activité solaire pour pouvoir étudier son impact sur le climat au cours du dernier millénaire. Cette période est connue pour avoir eu de fortes variations, à la fois l’Optimum médiéval, ce réchauffement (entre 950 et 1250) pendant lequel les Viking s’étaient installés au Groenland, ainsi que le Petit âge glaciaire (entre 1400 et 1800) lui aussi bien marqué en Europe. Or nous savons que ce Petit âge glaciaire a été influencé par l’activité solaire. Notre but est de mieux évaluer le rôle du soleil dans le climat passé et à venir.
COAL : Passons à l’espoir qui fait survivre au réchauffement climatique. Peut-on imaginer un évènement qui sauverait la situation ? Une éruption volcanique, une géo-ingénierie bien pensée ?
Edouard Bard : On sait qu’il y a une grosse éruption volcanique, assez forte pour affecter le climat, environ tous les 20 ans. La dernière a eu lieu en 1991, mais nous ne savons pas quand aura lieu la prochaine. Néanmoins, ne nous leurrons pas, si le souffre des volcans peut aider en refroidissant temporairement l’atmosphère, ce n’est qu’une rustine, qu’une solution d’appoint. La géo-ingénierie part de ce principe, l’idée la plus en vogue consistant justement à vouloir injecter de l’oxyde de soufre dans la stratosphère qui se transformerait ensuite en fines poussières de sulfates. Mais l’effet refroidissant ne durerait que de un à trois ans, et ne devrait pas faire baisser la température de plus de 0,5°C. Or il y a déjà un degré de trop et quelques autres degrés supplémentaires qui vont arriver d’ici 2100. L’injection de soufre serait donc largement insuffisante et poserait des problèmes scientifiques et diplomatiques insurmontables.
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